"Katanga Business" : du cœur des ténèbres au cœur de la mondialisation

Les documentaires sont des films comme les autres : ils se portent mieux de la présence d'un héros en leur milieu. Thierry Michel filme le Congo depuis 1992. De Zaïre, le cycle du serpent (1998) à Congo River (2006), il y a trouvé plus que son lot de méchants, du président Mobutu Sese Seko, mort en 1997, aux sanguinaires seigneurs de la guerre de l'Ituri.

Dans le sud de la République démocratique du Congo, il a enfin rencontré une figure charismatique. Moïse Katumbi est le héros de Katanga Business. Gouverneur de la province minière, c'est un politicien africain d'un genre nouveau, qui tente de chevaucher le dragon de la mondialisation. Autour de lui, Thierry Michel met en scène un moment décisif pour le pays et ses habitants : longtemps champ de bataille, le Katanga est devenu un terrain d'affrontement économique. C'est pour cette région qu'a été inventée l'expression "scandale géologique". Les réserves de cuivre, de cobalt sont colossales.

LA MISÈRE DES CREUSEURS

Là où les "gendarmes" rebelles combattaient les parachutistes français (ce qui, en termes de cinéma, se traduit par La Légion saute sur Kolwezi, de Raoul Coutard, 1979), les multinationales occidentales se défendent contre les assauts des groupes chinois. De ce nouveau partage de l'Afrique, nous recevons des nouvelles quotidiennes. Mais il faut le cinéma, et en l'occurrence ce film passionnant, pour lui donner vie.

Prenez cette séquence : le ministre des mines du Katanga arrive devant un enclos de tôle. Derrière cette pauvre muraille se cache le patron d'une mine de cuivre. Une mine clandestine, parce que le Katanga est assez grand pour qu'on creuse une carrière à ciel ouvert où travaillent d'énormes engins de chantier, sans rien en faire savoir aux autorités. Le ministre applique la politique d'assainissement des affaires décrétée par le gouverneur Katumbi. Il veut voir le responsable. Celui-ci est chinois, il parle quelques mots d'anglais, et bien sûr ni le français ni le swahili. Les policiers qui escortent le ministre le rudoient un peu, la scène est pénible, elle sent la revanche.

Plus loin dans le film, on fera la connaissance d'un autre entrepreneur chinois. Celui-là est muni de toutes les autorisations nécessaires. Il s'apprête à racheter les ruines de la société d'Etat fondée par Mobutu, la Gécamines. Il va assécher un gigantesque lac qui s'est formé sur le site d'une mine à ciel ouvert, construire une route qui emmènera le minerai jusqu'à la frontière avec la Zambie. Et le documentaire permet des écarts que les règles d'un scénario de fiction interdisent : ce businessman chinois s'appelle M. Min.

Thierry Michel n'est pas parti au Katanga pour écrire un réquisitoire. Il avance les yeux grands ouverts et prend en compte aussi bien la misère des creuseurs du secteur informel qui extraient le cuivre à la pioche et le transportent sur des bicyclettes que la permanence de la famille Fourest, arrivée de Belgique dans les années 1930 aujourd'hui acteur majeur du secteur minier.

Dans ce chaos, un homme tente donc d'imposer un centre de gravité. Moïse Katumbi, 45 ans, n'est pas arrivé les poches vides en politique. Au volant de son 4 × 4, il dit à Thierry Michel "j'ai 60 millions de dollars", 60 millions qu'il a empochés en achetant l'une des dépouilles de la Gécamines. Comme tous les politiciens africains, il se déplace les poches pleines de billets, qu'il distribue aux pauvres comme aux riches : à des mineurs, il donnera quelques dizaines de dollars, des milliers aux joueurs du club de football de Lubumbashi, qu'il dirige. Ce potentat se transforme instantanément en tribun, haranguant une foule de grévistes, désamorçant l'émeute qui vient. On le voit prendre à partie les cadres chinois d'une mine, qui laissent leurs ouvriers aller pieds nus, et tancer sévèrement le directeur de la douane, arrivé en retard à son bureau.

VIOLENCE DES MILICES

Il arrive aussi que le film bascule dans la tragédie. Que le gouverneur ne tienne pas ses troupes ou qu'il soit un adepte du double discours, les humbles restent exposés à la violence des milices des sociétés minières ou de la police. On voit cette dernière tirer sur une manifestation pacifique.

Thierry Michel est un intime du Congo. Il a commencé à le filmer au moment des espoirs, vite déçus, de démocratisation. Il a vu tomber Mobutu et la guerre civile s'installer dans tout l'est du pays. Il aime ce pays d'un amour lucide, qui l'a mené au bord du désespoir. Son dernier film sorti en salles, On The Rumba River, montrait la déchéance de la capitale Kinshasa et des musiciens qui avaient fait sa gloire au moment de l'indépendance, sur un ton presque funèbre.

Sans rien masquer des contradictions et des périls, Katanga Business est, au contraire, un film éclatant de vie, dans lequel on trouvera, aussi facilement que du cuivre à Kolwezi, des raisons d'espérer.

Film documentaire belge de Thierry Michel. (1 h 55.)

Thomas SOTINEL

Le Monde 15 avril 2009

 

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