La caméra de Thierry Michel dans la plaie De nationalité belge, Thierry Michel est un cinéaste qui s’est épris d’amour pour l’Afrique. Il a réalisé plusieurs films se rapportant au continent, plus particulièrement au Congo. Et l’on citera notamment les films documentaires "Mobutu, roi du Zaïre" et "Congo river". Le dernier film qu’il présente à la XXIe édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO 2009) est intitulé, "Katanga business". C’est un film à travers lequel le réalisateur porte encore un regard critique sur la gouvernance en Afrique en général, en République démocratique du Congo en particulier. Dans cet entretien que nous avons eu avec lui, le mercredi 4 mars dernier à Ouagadougou, Thierry Michel nous parle de son dernier film dont la toute première projection publique a eu lieu la veille même, dans la capitale burkinabè, grâce au FESPACO. Le Pays : Vous êtes à Ouagadougou dans le cadre du FESPACO où vous présentez votre dernier film. Parlez-nous de ce film qui déjà fait du bruit. Thierry Michel : Je suis un fidèle du FESPACO. Depuis 1993, j’ai des films qui sont présentés ici, presque à chaque édition du FESPACO. La seule édition où je n’avais pas de film dans la sélection, j’étais membre du jury officiel. Mes films les plus connus au Burkina sont notamment "Mobutu, roi du Zaïre", "Congo river". Je reviens avec un nouveau film. On a réservé ce film pour le Burkina Faso, en première mondiale, avant de le sortir en Europe et dans les autres festivals. Ce film s’intitule "Katanga business". C’est une grande saga industrielle sur le nouvel eldorado africain qu’est devenue la province du Katanga. C’est une des grandes provinces de la République démocratique du Congo, la plus riche en minerais essentiels pour l’économie mondiale, que sont l’uranium, le cuivre, le cobalt et bien d’autres minerais. Aujourd’hui, après les élections et avec la paix en RDC, arrivent des multinationales du monde entier pour ré-industrialiser la province et surtout accaparer les richesses minières. C’est tout l’intérêt du film. J’ai suivi les grands patrons de l’industrie, notamment un grand personnage central qui est le gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbi qui est un richissime homme d’affaires et qui a beaucoup de charisme. Il est aussi le propriétaire et le président du Tout-puissant Mazembé que certains connaissent un peu de par le football. C’est aussi un film sur l’enjeu de l’économie que se livrent à la fois les Occidentaux et les pays asiatiques, l’Inde et surtout la Chine qui sont arrivés en force au Congo pour essayer de prendre possession des concessions et des richesses minières. Un des grands personnages est ce grand patron chinois, Monsieur Min, qui arrive avec ses 9 milliards de dollars et qui essaie de prendre le dessus dans ce grand monopoly de la finance qui se joue au Katanga. Mais il y a l’envers de la médaille qui est la population congolaise, qui est les mineurs, les creuseurs artisanaux qui occupent par dizaines de milliers les concessions minières ; ils sont chassés par les multinationales dans une violence souvent brutale. Il y a également les travailleurs dans les usines qui se battent, à travers des grèves, pour obtenir un minimum de salaire, des conditions de travail cohérentes, le respect tout simplement parfois ; ils sont réprimés. Comme la plupart de vos films, il s’agit encore d’un documentaire. Pourquoi avoir opté principalement pour ce genre ? Le documentaire, d’abord parce que je pense que c’est un des genres fondamentaux du cinéma. Parce que par le documentaire, on peut donner à l’Afrique un miroir d’elle-même, mais un miroir critique de ce qu’elle est et que les personnages du documentaire, quand on a une dramaturgie suffisamment forte et le sens de raconter des histoires comme j’ai raconté Mobutu par le documentaire, prennent une force incroyable, parce que ce sont des personnages de la réalité. Après, le débat est d’autant plus important ; ce sera un débat esthétique ou politique, économique qui va s’en suivre. Pour une fiction, j’aurais eu des difficultés de trouver un personnage, un acteur aussi fort que le maréchal Mobutu lui-même. Je pense que le documentaire avait sa force, une puissance que peut-être une fiction n’aurait pas eue. C’est la même chose avec Katanga business. J’aurais fait une fiction sur ces grands capitaines d’industrie qui règnent aujourd’hui sur une partie de l’Afrique que cela aurait été intéressant. Mais ça n’aurait pas la même vérité, le même crédit, la même puissance de justesse de ces personnages que quand je peux filmer dans des situations comme un conseil des ministres ou un conseil d’administration d’une grande multinationale. Plusieurs de vos films se rapportent au Congo. Y a-t-il une explication particulière à cela ? Peut-être que si j’avais rencontré un autre pays, par exemple l’Afrique du Sud, il y a vingt ans, j’aurais suivi toute son histoire pendant deux décennies. Le fait est qu’à un moment donné, je faisais des films en Russie, en Amérique latine j’en faisais un peu partout dans le monde. Je suis arrivé au Congo en 1991 et j’ai croisé l’histoire d’un très grand pays africain dont d’ailleurs Frantz Fanon, qui est un grand théoricien de la décolonisation, disait que l’Afrique a la forme d’un revolver, mais la gâchette c’est le Zaïre. C’est aussi le plus grand pays francophone du monde, par sa population et par son territoire, et c’est enfin un pays qui regorge de richesses, tant du sol que du sous-sol. Je me suis donc intéressé à ce pays. A partir de ce moment-là, on fait des réseaux, des amitiés, on a une connaissance et une expertise du pays. Voilà, j’ai continué plutôt que de me disperser dans différents pays africains. J’ai approfondi ma connaissance d’un pays, j’en ai tracé l’histoire à travers Mobutu, roi du Zaïre, j’en ai tracé une forme de géographie et de mythologie, ainsi que des récits traditionnels, de la découverte du pays à travers ce grand film de voyage qu’est Congo river et aujourd’hui à travers ce film sur les grands patrons de l’industrie, le gouverneur d’une province extrêmement riche, les creuseurs, les travailleurs en grève... Je dresse un autre portrait d’une autre Afrique aussi, c’est l’Afrique industrielle, mais il s’agit de la grande industrie. Mais de façon plus explicite, quel est le message que vous voulez donner à travers votre dernier film, Katanga business ? Que l’Afrique doit arriver à se faire une révolution industrielle, une révolution du développement. Que nécessairement elle aura besoin de la mondialisation, c’est-à-dire de financements et de capitaux qui viendront de l’extérieur, mais qu’elle doit poser les lois pour éviter que ce soit de la prédation et pour que les Africains aient leur part du gâteau. Que les Africains ne soient pas les laissés pour compte du développement de leur pays et que ces richesses doivent aussi revenir aux Africains. C’est-à-dire qu’il faut empêcher la corruption, l’évasion par la frontière des matières premières, sans contrôle. Que l’Afrique doit prendre son destin en main. Ce film pose bien la question de la gouvernance. Voilà une nouvelle gouvernance à travers Moïse Katumbi, extrêmement populaire et populiste, mais en même temps qui défend les intérêts de sa population et qui peut mettre de l’ordre quand les entreprises chinoises viennent, au mépris du respect des travailleurs, brutalement essayer d’exploiter l’Afrique. Je veux aussi qu’il y ait un nationalisme pour préserver l’Afrique des prédateurs. Hier (ndlr, mardi 3 mars 2009), a eu lieu la première projection de votre film. Est-ce que les réactions des spectateurs vous donnent espoir que le film ait un bon itinéraire comme les précédents ? Le film commence sa carrière. Hier déjà, des gens ont réagi positivement. Il y en a qui voulaient le diffuser dans d’autres pays. Mais la carrière est déjà garantie en Europe, puisqu’il sort en salle en Belgique et en France dans trois semaines, puis après il va sortir dans plusieurs autres pays. Et il aura sa carrière en DVD, de même que sur les chaînes de télévision. Chaque fois que vous parlez de l’Afrique dans un film, on voit bien que vous mettez le doigt sur la plaie... Absolument. Vous êtes journaliste, rappelez-vous Albert Londres qui disait que le journaliste doit mettre la plume dans la plaie. Moi je mets ma caméra dans la plaie. Le journaliste ou le cinéaste est un intellectuel critique qui réfléchit le monde et qui, souvent, dit les choses qui dérangent le pouvoir. C’est son rôle. C’est quelque part un veilleur, un gardien des valeurs universelles. On pourrait aussi dire que vous aimez l’Afrique... J’aime bien l’Afrique. De toute façon, je suis citoyen du monde, je fais fi de la couleur de la peau et j’ai besoin de la rencontre des autres cultures et en Afrique, je me sens chez moi. Enfin, quel regard portez-vous sur le FESPACO, particulièrement sur la présente édition ? Le FESPACO c’est ce grand festival panafricain, incontournable, le rendez-vous que je ne peux manquer parce que c’est le lieu de l’échange, de la découverte du cinéma africain, du cinéma d’Afrique, de la rencontre avec les cinéastes, d’un public, d’un véritable public. C’est une grosse caisse de résonance sur le monde entier. Le succès de bon nombre de films démarre souvent par le FESPACO. Mais, cette édition a quelques difficultés organisationnelles, dont j’ai été victime comme tout le monde. Mon film n’a pas passé à l’heure : le public a dû patiemment attendre durant deux heures. Pour une avant-première mondiale, qu’on présente le film avec deux heures de retard, c’est inadmissible ! Les choses se passent comme je n’imaginais pas que ce pouvait encore se passer. Donc, il y a vraiment un effort énorme à faire. Le festival ne doit pas reculer, il doit avancer. Lassina Fabrice SANOU Le Pays - 6 mars 2009 retour |