Le Congo va se développer si les forces politiques bâtissent un Etat fort

Avec son film sur la renaissance du Katanga, Thierry Michel n'en est pas à sa première tentative de nous donner à voir la RDC, par l'étonnement : en 1990, un portrait de "roi" (Mobutu), récemment Congo River donnait une vision extraordinaire du fleuve mythique de l'Afrique. Cinéaste belge, Thierry Michel porte un regard d'historien sur les événements qu'il filme. Ce qui l'intéresse, c'est de sentir l'Histoire qui s'écrit, les forces en présence. Né à Charleroi en Belgique, dans une région industrielle surnommée « Le Pays Noir », réaliser un film dans une région minière au Congo n'est pas une découverte pour lui. Déjà au bassin minier et sidérurgique de son enfance, Thierry réalise ses premiers films documentaires « Pays Noir, Pays Rouge » et « Chronique des Saisons d'Acier ». Il nous retrace les grandes lignes de son prochain film sur le Katanga. Interview.

Après la réalisation de quatre films, vous êtes de retour en RDC. Qu'est-ce qui vous amène cette fois-ci dans ce pays presque ruiné, exploité et pillé ?

Je suis venu cette fois pour découvrir une province que je connaissais pour l'avoir filmé depuis une quinzaine d'années, mais sans jamais y consacrer vraiment un travail approfondi : c'est le Katanga. Je pense que le Katanga est le cœur économique de la République démocratique du Congo ; c'est la province qui a toujours suscité tout l'intérêt, toute la convoitise de ce pays ; c'est par le monde l'une des provinces les plus riches en minerais hautement importants pour le développement et l'industrialisation de nombreux pays comme le cuivre, le zinc, le cobalt, mais aussi minerais hautement stratégiques tel évidemment l'uranium. Mais, au-delà de tout ceci, c'est une province minière. J'avais envie de réaliser un film sur une province minière. Il faut retenir que je suis né au Sud d'une province minière : Charleroi en Belgique. C'est le secteur que j'admire beaucoup depuis que j'étais étudiant, et j'ai commencé ma carrière sur le secteur minier. Je suis revenu à mes premières émotions. J'aime ce monde industriel et surtout le monde minier.

Ce qui m'a intéressé aussi de plus, c'est qu'aujourd'hui au Katanga se joue une partie essentielle de la mondialisation. C'est dans cette province qui regorge des richesses, qui est un véritable scandale écologique aujourd'hui, que se mène une guerre économique redoutable. Entre non seulement les grandes compagnies minières internationales et multinationales des minerais, mais aussi de grandes puissances. On voit bien aujourd'hui comment s'affrontent les intérêts nord-américains, mais aussi asiatiques, principalement la Chine, qui est montée en puissance, d'une manière extraordinaire en très peu de temps au Katanga. Il y a aussi l'Inde qui avait pris déjà une position assez forte, mais qui est en train d'arriver aussi de manière extrêmement importante.

Par rapport à ma cinématographie, à l'ensemble de films que j'ai réalisés, j'ai traité de beaucoup de choses sur des questions humanitaires, sociales ; des questions politiques. Mobutu, c'est une parabole sur l'ivresse du pouvoir, sur le mécanisme de passation des pouvoirs politiques, sur la déperdition politique. Je voudrais ici faire une parabole sur l'économie. Et j'ai trouvé que des enjeux économiques étaient redoutables au Katanga, où se mène à la fois une double guerre. J'ai estimé qu'au Congo aujourd'hui il y a la guerre civile dans certaines régions de l'Est du Kivu et de l'Ituri avec des problèmes non encore résolus, des résidus de la guerre. On peut dire que le Katanga est toujours une province qui vit dans la paix civile. Mais, il mène à la fois cette guerre économique, mais aussi une guerre sociale, dans ce sens que c'est une province qui regorge de richesses nationales les plus importantes. Reste aujourd'hui une misère profonde de la population où plusieurs centaines de personnes sont obligées d'aller gratter la terre à mains nues comme à l'âge de la pierre taillée, s'enfoncer dans les entrailles de la terre dans les galeries qui ne sont absolument pas sécurisées et qui s'effondrent régulièrement, pour essayer d'assurer la subsistance de leurs familles.

Le dernier aspect, c'est la renaissance. La renaissance africaine, la renaissance congolaise, la renaissance de toute une province. Aujourd'hui, le Katanga vit une véritable révolution industrielle. Paradoxe de l'histoire, très peu de pays - je n'en connais pas - ont vécu des révolutions industrielles. Puisque le Congo avait vécu sa révolution industrielle à l'époque coloniale sous l'égide évidemment d'une société aussi puissante que l'Union minière du Haut Katanga qui, bien sûr, était une société privée, un monopole belge, mais avait mis en valeur des infrastructures industrielles de cette province. Et, tout ce patrimoine hérité en 1960 à l'aube des indépendances, s'est malheureusement complètement effondré par la mauvaise gestion, par la prédation, par tout le mal congolais que l'on connaît.Cette production qui était extrêmement importante de 460.000 à 480.000 tonnes a sombré vers 12.000 tonnes, et a mis toutes ces familles, toute cette génération de la Gécamines, toute cette culture industrielle, tous ces milliers de travailleurs dans le désarroi, dans la détresse, au chômage.

Aujourd'hui, - et c'est important - la démocratie, un certain Etat de droit fait que, arrivent de quatre coins du monde des investisseurs pour faire renaître cette province. Mais, dans cette guerre économique, chacun essaie d'avoir le plus beau morceau du gâteau pour ses propres intérêts. Mais, cela contribue au développement de la province. J'ai essayé de m'attacher à des personnages parce que l'histoire se fait aussi par les gens qui la font et par les personnages qui la font. C'est le quatrième tournage que je fais et j'ai encore passé deux mois. Si je cumule toutes les périodes passées, j'ai passé cinq mois au Katanga pour essayer de filmer cette province en mutations, et de m'attacher à des personnes-clés de cette révolution industrielle : de grands industriels, de grands patrons de la Gécamines, le gouverneur de la province évidemment qui est un homme déterminant de cette mutation, et bien d'autres personnes.

Mais, je me suis aussi attaché non seulement aux macroéconomiques, à ces grands décideurs, à ces grands gestionnaires, mais aussi au destin de ces petits creuseurs qui essaient de survivre jour par jour et dont on a filmé parfois la mort. Puisque certains d'entre eux ont été ensevelis pendant la période où nous étions là ; d'autres ont été tués par balles lors de la répression des manifestations ; nous avions aussi été présents quand des travailleurs de la Gécamines ont été blessés lors des accrochages avec les forces de l'ordre. C'est toute cette convulsion d'un accouchement. Il est douloureux mais indispensable à la renaissance d'une province et ça ne se passe pas sans mal. C'est normal. Toute révolution industrielle a toujours été violente. C'est dire qu'en Belgique aussi, à l'époque de la révolution industrielle, quand les artisans ont été dépossédés de leur travail par l'industrialisation, la machine remplaçant l'homme a mis des milliers de gens en Europe au chômage. Il y a eu des révoltes. Ce n'est pas un phénomène typiquement africain. Une mutation où l'on passe de l'artisanat à l'industrialisation, demande toujours un laps de temps. Que l'industrialisation fasse son temps ; qu'elle génère toute sa richesse, qu'elle se développe. Que des gens perdent leur emploi, cet enjeu historique, un enjeu qui dépasse l'Afrique. On est dans l'histoire universelle.

Mais, au-delà de l'industrialisation, de la mutation, il y a énormément de dégâts sur le plan écologique ?

Bien sûr. Evidemment, le problème du Congo est un peu complexe. Quand tout d'un coup, toutes les forces capitalistes du monde viennent se concentrer pour développer une province, elles le font d'abord pour les intérêts des actionnaires. C'est bien normal. C'est la règle de l'économie mondiale, de la loi du marché et du capitalisme. Nous ne sommes pas au Congo dans une économie socialiste, mais bien dans une économie capitaliste. Cette dernière peut vite virer vers un impérialiste brutal et sauvage, quasi-féodal parfois. D'où, il faut des règles. C'est pourquoi, il faut un Etat qui garantit les règles de bonne gouvernance, de fiscalité, environnementales, de redistribution sociale… Nous sommes évidemment dans un Etat qui se reconstruit. Donc, l'Etat est faible face à ces forces économiques, mais l'Etat se reconstruit. Je pense qu'on doit tirer des leçons de tout ce qui se passe aujourd'hui au Katanga pour modifier la situation, modifier la législation. Il faut que cette province qui est un Eldorado redevienne le cœur de l'Afrique, la province la plus riche de l'Afrique.

On parle aujourd'hui de l'Afrique du Sud, d'accord. Mais, n'oubliez pas qu'en 1960, le Katanga était plus riche que l'Afrique du Sud. Les gens partaient de l'Afrique du Sud pour se faire soigner dans des hôpitaux du Katanga. Mais, la situation va redevenir comme elle était avant. Le Congo va se développer si les forces politiques bâtissent un Etat fort. Il faut sortir d'un marasme économique où l'économie est essentiellement informelle. Dans ce cas, la corruption est devenue presque institutionnelle. Depuis l'époque de la République du Zaïre et même aujourd'hui la République démocratique du Congo, la corruption est devenue un cancer généralisé. Il faut sortir de cette situation, de ces vieilles habitudes, de cette mentalité prédatrice pour rentrer aujourd'hui dans les règles d'une économie libérale internationale régularisée par un Etat. C'est, à mon avis, un processus que le Congo est en train d'amorcer. Mais, avec des convulsions difficiles. C'est un accouchement difficile.

N'êtes-vous pas un cinéaste de l'image sombre du Congo puisque vos films ne montrent que le côté négatif de ce pays : Mobutu roi du Zaïre, Congo River… aujourd'hui vous montrez toute l'anarchie de l'exploitation des minerais par les multinationales au Katanga, avec des contrats léonins. Voulez-vous immortaliser cette image négative du Congo dans vos films ?

Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez que mes films ne montrent que des images négatives. Je pense que dans Congo River ce n'est pas le cas. Bien sûr que mes films des années 90, vers la fin du règne de Mobutu, il était normal de montrer la déliquescence de tout un grand pays d'Afrique. Je pense maintenant, depuis Congo River, avoir amorcé la renaissance de tout un pays. Vous pouvez prendre un extrait de ce film, ce train qui immobilise les agents de la SNCC à Kisangani des mois durant pour construire le chemin de fer et relancer la voie ferroviaire, sans les payer. Vous pouvez prendre beaucoup de séquences, notamment les discours de Mgr Monsengwo, qui montrent dans ce film que le Congo renaît de ses cendres, même si les cendres sont encore chaudes.

Pour le Katanga, je ne suis pas d'accord avec vous. Je viens de filmer la renaissance. Je viens de filmer les investisseurs qui reviennent au Congo. C'est un signe extrêmement positif. Le travail reprend, les activités industrielles reprennent, les routes sont réfectionnées, les chemins de fer pourront prochainement, je l'espère, retrouver leur dynamisme… la modernisation de la province est en cours. Certaines écoles sont en réfection. Tout cela, c'est bon signe. Le gouverneur porte un message d'espoir à sa base. Il reste des adaptations à faire.

Je pense qu'aujourd'hui le peuple congolais est fatigué de la prédation, de la corruption, des tracasseries, du racket… Tout le monde a cet espoir que la démocratie doit changer un certain nombre de choses. Le mouvement est donc profond dans la société congolaise même s'il reste encore quelques poches de réseaux maffieux. Ils vont se résorber progressivement. Un autre phénomène que j'ai constaté au Katanga qui est intéressant, c'est qu'à partir du moment où il n'y a plus d'Etat, où il n'y a plus d'industries, il y a eu un mécanisme de survie économique : l'informel. Cela fonctionnait de manière outrancière et a permis une transition. C'était pratiquement une bouée de secours pour que les gens ne meurent pas de faim. Des sociétés ont bâti leurs richesses sur l'informel. Aujourd'hui, certains ont compris que c'était la fin de l'économie informelle et le début d'une industrialisation. Je pense que certains patrons se convertissent. C'est également un bon signe. Le gouverneur a, par exemple, pris un certain nombre de décisions notamment que les minerais non traités ne soient plus transportés en Zambie, mais profitent à la population du Katanga. Je pense que c'est toute une grande révolution industrielle, une grande mutation qui porte énormément espoir. Mais, il faut que cela aboutisse parce qu'il y a des forces occultes qui ne veulent pas de cette modernisation.

Ayant parcouru tout le pays, n'avez-vous pas l'impression qu'avec l'effervescence du Katanga, c'est un autre pays qui est en train de naître dans un pays ?

Oui, il y a deux Congo. Il n'y a pas le Katanga et le reste du Congo, il y a des provinces plus riches et les provinces moins développées. Le Congo dans l'ensemble est riche : en Ituri il y a du pétrole et du minerai, dans la cuvette il y a du pétrole, il y en a un peu partout du diamant, le Maniema possède des minerais, la province Orientale également, le Kivu à le colombo tantalite, l'Equateur est immensément riche de son bois et puis il y a le potentiel agricole de la plupart des provinces congolaise dont on ne parle pas assez. La province la plus riche, à mon avis c'est le Bas-Congo et non le Katanga. Le problème des richesses minières, c'est qu'elles sont épuisables. Le Katanga est riche pour vingt-cinq ou cinquante ans. Après, il y aura des trous, des carrières inondées et des cailloux qui n'auront plus aucune valeur. Donc, si le Katanga ne vit que de ses richesses minières, il est condamné à terme. C'est une question de génération. Par contre le Katanga a d'autres richesses comme l'élevage et l'agriculture.

Le problème, c'est qu'on y vise l'enrichissement rapide. Tandis que le Bas-Congo a une énergie indéfiniment renouvelable avec l'eau, le fleuve, et les rapides. C'est fabuleux. Cette province donne sur l'Océan, elle n'est pas enclavée. Pensons à Inga II et III bientôt, on parle également de l'usine d'aluminium qui va être importante, mais on parle aussi de l'hydrogène, l'énergie de substitution de pétrole… La richesse de ce pays est phénoménale, extraordinaire. On est loin des autres pays, comme le Japon qui n'a rien comme ressource et qui ne compte que sur la technologie et le travail assidu de sa population.

Freddy MULUMBA KABUAYI

Le Potentiel - 12 novembre 2007

 

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