Katanga Business de Thierry Michel

Après Mobutu et sa folie des grandeurs, après une décennie de guerre et ses horreurs, voici venu au Congo le temps de la démocratie et des affaires, grandes et petites. Avec Katanga Business, le réalisateur belge Thierry Michel poursuit sa chronique du Congo-Kinshasa, ce pays-continent qui fit que la Belgique fut grande.

Mobutu, roi du Zaïre tenait sur une idée simple, pas forcément juste mais stimulante, comme quoi le dictateur à la toque léopard n’eut qu’une ambition dans la vie : devenir l’égal de Baudouin Ier, le roi ex-colonisateur. Congo River était structuré par le cours de l’immense fleuve, que le cinéaste remontait, à la manière de Conrad dans Au cœur des ténèbres, jusqu’à la source du mal.

Hésitation. Dans Katanga Business, l’unité du lieu et du sujet - en résumé, l’exploitation du cuivre dans la richissime province méridionale - laisse croire à une démonstration implacable. Mais au contraire, le film part dans tous les sens, les enjeux se multiplient, le spectateur s’interroge. Thierry Michel se pose à haute voix les mêmes questions : qui gagne, qui perd à ce grand Monopoly minier ? Les Chinois, les Indiens, le gouverneur local, les multinationales occidentales, le retraité de Floride et son fonds de pension ? Une seule chose est évidente : les perdants sont les travailleurs congolais, exploités ou au chômage, mais deux heures n’étaient pas nécessaires pour le découvrir.

La faiblesse de Katanga Business tient à son hésitation entre le documentaire et le reportage. Et le bon journalisme fait rarement du bon cinéma. Pourtant, Thierry Michel tenait quelques pépites : des scènes avec les creuseurs artisanaux, ces damnés de la terre qui travaillent à mains nues ; un portrait du magnat belgo-congolais George Forrest, qui semble tout droit sorti des archives audiovisuelles du temps de la colonisation et dont le réalisateur omet de signaler qu’il a été un temps administrateur de la Gécamines, l’ex-société nationale dont tout le monde se partage les dépouilles ; et, surtout, un début de portrait de Moïse Katumbi, le jeune, charismatique et richissime gouverneur local.

Malaise. Plutôt que de courir l’échalote, Thierry Michel aurait dû creuser - si l’on peut se permettre - son sujet. Il tenait un magnifique portrait d’un entrepreneur politique en construction. Vu son jeune âge, le gouverneur élu peut espérer un jour diriger le pays et les similitudes ne manquent pas avec Mobutu, notamment dans cette scène incroyable où il descend aux vestiaires, à la mi-temps, donner ses consignes personnelles à chacun des joueurs de son équipe de foot. Populiste et démagogue, Katumbi n’a pas son pareil pour retourner les ouvriers en colère, susciter l’enthousiasme un peu puéril et versatile des Congolais, aussi prompts à brûler ce qu’ils ont encensé.

C’est là aussi que se situe le malaise suscité par Katanga Business, dans cet écart entre ce que les Belges ont laissé - des infrastructures rouillées, un certain mode d’exploitation qui survit à tous les régimes - et l’incroyable résistance de la société congolaise, même sous les pires formes, à une «modernité» occidentale, qui ne lui a jamais profité.

Libération, 15 avril 2009

 

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