"Katanga Business" - Un film de Thierry Michel

Comment une province si riche en ressources minières convoitées par la planète peut elle produire autant de précarité ? La réponse se résume en deux mots : Katanga Business. Les principaux acteurs de l'industrie minière de cette région de la République Démocratique du Congo sont passés au crible dans le dernier documentaire de Thierry Michel. Foisonnant, souvent confus mais toujours édifiant.

Des mines à ciel ouvert qui s'étendent à perte de vue. Bienvenue dans le Katanga, dans le Sud-Est de la République démocratique du Congo (RDC), en Afrique centrale. La province réunit, selon son charismatique gouverneur, Moïse Katumbi, 80% des richesses minières d'un pays qui fait près de huit fois la taille de son ancienne puissance colonisatrice, la Belgique. Le sous-sol katangais regorge principalement de cuivre et de cobalt qui attirent des investisseurs belges, dont l'installation remonte au début du XXe siècle, et les nouvelles puissances émergentes comme l'Inde et la Chine. Tous veulent profiter de la manne financière que représente l'exploitation du cuivre. Pour y parvenir, ils ont développé un partenariat avec la société minière nationale, la Gécamines qui renaît de ses cendres depuis 2005. Pendant la période coloniale, elle fut l'une des plus prospères entreprises d'un pays dont le PIB, en 1960, était supérieur à celui du Canada.

Sur le papier, les Katangais sont riches. La réalité est tout autre pour la majorité de la population qui vit des mines. Qu'ils soit "creuseurs" pratiquant une exploitation artisanale au péril de leur vie ou salariés des entreprises privées. Les premiers risquent la mort sous les éboulements pour une production qu'ils cèderont à des prix dérisoires. Par exemple, à des négociants chinois, si ces derniers ne disposent pas de leurs propres carrières illégalement exploitées. Les employés, eux, réclament des salaires plus conséquents. Encore une fois au risque d’y laisser leur peau. Quand ils grèvent, ce sont les forces de police qui interviennent avec des balles parfois fatales. Le discours des entrepreneurs et des politiques est alors en déphasage avec le quotidien de ces milliers de personnes. D’un côté, les multinationales défendent leur bout de gras au nom du développement du Congo. De l’autre, le gouverneur tente de concilier les intérêts économiques de sa province et ceux des travailleurs. La démarche est délicate et les paradoxes sautent aux yeux.

Katanga Business met en lumière l'ambivalence d’un discours politique incarné par le bien nommé Moïse Katumbi. Il promet aux creuseurs qu'ils ne seront pas délogés par les exploitants privés pour, en même temps, les laisser aux mains des forces de police quand ils le sont et qu'ils se rebellent. Le gouverneur tente de rétablir un semblant d'ordre face au pillage des ressources que subit sa province, mais l'administration douanière est incapable d'assurer ses missions. Le documentaire met également le doigt sur les limites d'un pouvoir local, souvent pris de vitesse par le gouvernement central. Mieux que tout cela, Thierry Michel filme surtout la détresse des hommes. Quand ils dénoncent leurs conditions de travail, enterrent leurs morts, présentent leur revendications balayées d'un revers de la main, sous prétexte que leur situation aurait pu être pire, ou encore gisant sur un lit d'hôpital. Parfois d'ailleurs, on se demande si le cinéaste belge ne va pas trop loin. Tout comme l'on s'interroge sur la trame indécise de son documentaire. Thierry Michel, semble-t-il, submergé par l'information, donne l'impression de sauter du coq à l'âne. Katanga Business manque aussi de pédagogie. Ceux qui découvrent pour la première fois la réalité katangaise pourraient s'y perdre.

Cependant, ils percevront l'essentiel : le reflet de l'exploitation d'êtres humains par d'autres. Entre la colonisation et l'indépendance, les images d’archives en témoignent, les exploitants ont juste changé. L'Etat belge a précédé son homologue congolais, à qui le secteur privé fait aujourd'hui concurrence. Les seuls perdants sont les hommes. Leur sueur et leur sang imprègnent les minerais extraits que l'on s'arrachera sur les marchés internationaux à prix d'or alors qu'eux perçoivent des clopinettes. But de la manœuvre : étancher la soif d’industries émergentes et celle des nations plus riches en produits électroniques. L'effet papillon dans toute sa splendeur. Après Mobutu, roi du Zaïre, Thierry Michel livre un autre document important sur un pays qu'il connaît bien. « La richesse du Katanga a fait le malheur du Congo », résume Moïse Katumbi. Une réalité commune à bien des Etats africains : un sous-sol bien doté rime souvent avec richesse pour les uns, tombeau pour les autres.

Il était une fois le cinéma, Falila Gbadamassi, avril 2009

 

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