Après «Congo River», le réalisateur belge Thierry Michel revient en République démocratique du Congo et à ses premières amours: le monde minier. Dans son documentaire «Katanga business», il dénonce le pillage des ressources de la région par des multinationales sans scrupule. Il montre que le pays, malgré la guerre au Kivu, se relève. Petit à petit, la démocratie fait son chemin. Depuis quand avez-vous le projet de faire ce film? «Une vingtaine d’années. Peut-être par nostalgie de mon enfance dans le monde minier (il est né à Charleroi). L’industrialisation de cette province est à l’image de celle connue par la Belgique. Je voulais réaliser un film sur une renaissance et filmer les Africains les plus pauvres, les grandes multinationales.» La région du Katanga est-elle stratégique? «Oui, l’endroit regorge de richesses minières. Les grandes multinationales s’y livrent une guerre assez violente, au mépris de la population locale. Là se jouent, à mon avis, les grands enjeux stratégiques de demain.» L’un des thèmes centraux du film, c’est la mondialisation. «En effet… et elle draine du bon et du moins bon. Ca dépend comment elle est gérée. Il faut qu’elle serve les couches les plus fragiles et qu’elle ne soit pas là pour la spéculation. Des règles sont nécessaires, elles doivent servir au développement. Quand on parle de mondialisation, il s’agit également des échanges entre cultures. Les altermondialistes sont des mondialistes qui veulent créer une solidarité de la mondialisation.» La présence de la Chine en inquiète plus d’un au Katanga. «Elle est un investisseur parmi d’autres. Elle vient avec une capacité de capitalisation énorme et de grandes ambitions. Mais il existe, à mon avis, plusieurs types de Chinois. Certains travaillent illégalement pour s’enrichir au détriment du pays tandis que l’Etat chinois essaye de signer des contrats avec l’Etat congolais sur les richesses minières.» Vous vous penchez aussi sur le gouverneur de la province, Moïse Katumbi. «C’est un homme issu, pour la première fois de l’histoire du Congo, d’élections démocratiques. Il a une légitimité. Il n’est pas venu avec un programme de prédation mais de reconstruction et de modernisation de l’Etat. Les Congolais le reconnaissent comme capable de faire renaître la région.» On y rencontre également George Forrest. Cet homme incarne un peu la réussite en terre hostile. «Il est le patron par excellence parce qu’il est là depuis plusieurs générations. Il a créé une véritable industrie au Congo et reste ancré dans la terre katangaise. C’est un de mes protagonistes et j’essaye de ne pas porter de jugement. Ce n’est pas mon rôle. George Forrest est dans cette guerre économique. C’est un patron comme les autres. Il essaye de faire du profit, mais vit au Congo, sa famille y est installée et il ne s’enfuit pas au moindre coup de fusil. D’autres s’enrichissent sur le dos de la population et pillent le pays avant de repartir. Lui, il reste dans son pays d’adoption.» La Belgique a-t-elle encore un rôle à jouer dans son ancienne colonie ? «Bien sûr. Mais plus seulement la Belgique. Le film montre bien que son rôle s’est aminci. Elle n’est peut-être plus capable de se défendre face à aux grandes puissances qui sont venues essayer de prendre richesses du Congo.» EN COULISSE Pourquoi réalisez-vous autant de documentaires ? «Je préfère montrer la réalité telle qu’elle est. Ce que j’essaye de chercher, ce sont le théâtre et les coulisses du monde. Les cinéastes deviennent dramaturges et poètes en captant le réel. Dans le documentaire, les gens jouent leur propre rôle. J’ai besoin de baigner dans le monde des hommes et d’en parler. » D’où vous viennent toutes ces idées de films ? «De la pratique. Chaque film en entraîne un autre et à la fin je tire un bilan de ce que j’ai fait et du monde. Je me suis dit pour celui-ci que la mondialisation est vraiment un enjeu terrible. J’essaye alors de sentir dans les questions qui m’obsèdent, celles qui sont les plus importantes. Je me laisse porter par mon intuition, ma confiance et mon analyse politique. Tout cela engendre le documentaire. » Comment travaillez-vous ? «Patiemment. Je pars toujours d’un regard neuf. Je suis disponible à tout ce qui peut se passer et établis des réseaux pour pouvoir entrer dans les différents milieux. Il faut arriver à convaincre, gagner la confiance des gens pour entrer dans leur univers, essayer d’être proche du peuple. » Making off sur La Deux (RTBF) ce jeudi 2 avril à 23h30. LE DECOR Le Katanga est la province la plus riche de la République Démocratique du Congo. Elle possède une quantité impressionnante de réserves de cuivre, de cobalt et d’uranium. Mais ces richesses minières attirent toutes les convoitises tandis que les habitants de la région vivent dans une pauvreté extrême, exploités par les entreprises. Leur salaire est misérable et leurs conditions de travail sont abominables. Engagés à la journée, ils travaillent en sandales et sans aucune sécurité. Un grand nombre d’entre eux meurt sous les fréquents éboulements. Ce documentaire, très dur, avec des images à couper le souffle, investigue dans tous les milieux : le spectateur est baladé dans la vie quotidienne des creuseurs. Mais aussi dans l’univers des grands patrons, des mines et les secrets de la politique régionale. Le film sortira en salle le 1er avril 2009. Metro - 31 mars 2009retour |