Katumbi, le héros qui dérange

C'est un homme d'affaires avisé devenu un homme politique très populaire au Katanga. Son frère a soutenu les rebelles Bemba et Nkunda ; lui, reste loyal au président Kabila. Mais sa notoriété, qui dépasse les frontières, agace. Le film de Thierry Michel, qui sort ce mercredi, ne va rien arranger.

Où qu’il aille, cet homme-là sait y faire. Lorsqu’il traverse la foule massée devant la douane de Kasumbalesa, qui marque la frontière avec la Zambie, la foule scande « Prezo, prezo » (président)… Magnanime, le gouverneur du Katanga distribue alors quelques billets de cent dollars aux mamans et aux quémandeurs avant de vérifier si les camionneurs se sont bien acquittés de leurs taxes. Peu après, élégant dans son costume de bonne coupe, il reçoit une délégation d’investisseurs nord-américains et les persuade de l’intérêt qu’il y a à prendre pied, tout de suite, au Katanga. Dans la même journée, on le verra disputer une partie de tennis ou suivre de près les entraînements des joueurs de l’équipe de football T.P.Mazembe dont il est l’un des sponsors avec l’industriel Georges Forrest. Une équipe prestigieuse qui fournit les meilleurs buteurs de l’équipe nationale, les Léopards. 

S’il est aussi populaire parmi les artisans creuseurs que parmi les cadres de l’industrie minière, c’est parce que Moïse Katumbi est partout, que rien ne lui échappe ; il sanctionne, explique, distribue, achète de ses propres deniers des livres d’agriculture qu’il fait distribuer dans les écoles de la province. A peine élu, il utilise les redevances minières pour équiper des centres de santé et acheter des ambulances, jusqu’à ce que Kinshasa le rappelle à l’ordre pour qu’il renvoie à la gourmande capitale les recettes de la province du cuivre… 

La réputation de Moïse Katumbi dépasse les frontières du Katanga, elle s’étend jusqu’au Kivu, au Kasaï et même jusqu’à Kisangani et le film de Thierry Michel (Katanga Business, dont il est l’une des figures marquantes) risque de lui donner une aura internationale. Une notoriété qui pourrait être dangereuse pour cet homme qui, lors des élections de 2006, a été le champion national des voix de préférence, mais qui a aussi échappé à de mystérieux accidents, entre autres lorsque le train d’atterrissage de son avion s’est retrouvé bloqué au départ de Kinshasa… 

Le personnage est cependant plus complexe que l’image de tribun populiste et populaire qu’il affectionne. Sous l’allure adolescente et le grand sourire du sportif se cache un homme d’affaires avisé, l’héritier d’une longue histoire familiale. Son père, Nissim Soriano, appartient à l’une de ces familles de Juifs séfarades originaires de l’île de Rhodes qui émigrèrent au Katanga entre les deux guerres pour fuir les nazis (Rhodes était alors sous domination italienne). Demeuré fidèle à Israël, le père de Katumbi demandera à être enterré du côté de Haïfa. Moïse, né le 28 décembre 1964, grandit au bord du lac Moero, sur la frontière zambienne, où son père s’est lancé dans le commerce de poisson. Une activité que développera ensuite son frère aîné, Raphaël, qui est aussi professeur de mathématique. Le gouverneur du Katanga reconnaît que dans sa jeunesse, il était différent de son grand frère : « Lui, il étudiait, il voulait faire de la politique. Moi, c’était le sport, la pêche… » 

Raphaël Katebe Katoto aura un parcours pour le moins sinueux : il mène ses affaires en Zambie, en Afrique du Sud, collabore à l’approvisionnement de l’Unita en Angola, lorsque le mouvement de Jonas Savimbi est secrètement soutenu par les Américains au départ de la base katangaise de Kamina et se dote d’un point d’ancrage en Belgique, le domaine Ter Heyde près de Bruges. Devenu très riche, Katebe Katoto intervient dans les négociations politiques, se rallie au RCD-Goma avant de soutenir Jean-Pierre Bemba. Récemment, il fut épinglé par un rapport d’experts de l’ONU l’accusant d’être l’un des financiers de Laurent Nkunda ! 

Sans récuser son frère, Moïse assure que depuis longtemps, il a pris ses distances : « Lui, c’est lui, moi c’est moi. Lorsqu’il a contesté l’autorité de Kinshasa et en particulier celle du président élu Joseph Kabila, nous avons divergé. Moi, je suis membre du parti du président, j’ai fait campagne pour lui en 2006 et je fais tout pour qu’en 2011, il soit réélu dans un fauteuil… » 

Lors de la campagne électorale, Moïse distribuait des cadeaux aux électeurs, ne lésinant pas sur les moyens. Mais sa générosité n’était pas uniquement inspirée par l’opportunité politique. Paul, un de ses anciens camarades de classe, se rappelle qu’issu d’une famille relativement aisée, il a toujours aimé partager : « Il arrivait à l’école avec des sacs de provisions qu’il distribuait à ses condisciples, ce qui le rendait très populaire… » Au lieu de prolonger ses études, Moïse préfère se lancer dans le commerce et à Lubumbashi, les plus anciens se souviennent encore de ce jeune métis, noirci par la vie au grand air, qui venait vendre à la Gecamines des chargements de poissons pêchés dans le lac Moero. Comme son frère, Moïse opère à la fois au Congo et en Zambie, sous la protection du président Frederick Chiluba (élu en 1991, réélu en 1996). Il s’y lance dans des affaires juteuses, transport, commerce, approvisionnement alimentaire et il sera éclaboussé par les affaires de corruption qui seront reprochées à Chiluba. 

Revenu au Katanga, Katumbi crée la société MCK (Mining Company Katanga) qui participe à la privatisation de la Gecamines en obtenant trois gisements miniers importants, à Kinsevere, Tshifufia et Nambulwa, au nord-est de Lubumbashi. Le modèle de partenariat est un classique du genre : la Gecamines garde 20 % des parts, et MCK en obtient 80 %. Le contrat de location prévoit la mise en exploitation du gisement de cuivre et de cobalt. Selon le journal congolais La Conscience, l’opération, dans son ensemble, lui rapportera 61,3 millions de dollars – un pactole qui lui donnera les moyens de financer une campagne électorale à l’américaine, dont bénéficiera aussi Joseph Kabila. 

A l’exploitation minière proprement dite, Katumbi préfère toutefois les travaux de découverture, où les engins de travaux publics aplanissent le sol et préparent le terrain pour les exploitants. Devenu gouverneur du Katanga, il se retire des affaires et inscrit la société MCK… au nom de sa femme. Les mauvaises langues assurent que les camions rouges du gouverneur ne font jamais la file à la douane. Le fait que le patron de la province soit un homme riche ne dérange pas les Katangais, que du contraire : « Lui au moins n’a pas besoin de recourir à la politique pour s’enrichir », dit-on à Lubumbashi et lorsque la méfiance ou les pressions de Kinshasa se font trop lourdes, Katumbi peut menacer de tout laisser tomber et de reprendre ses affaires. Justifiant sa générosité, il ne craint pas de proclamer : « Moi, c’est le peuple que je veux corrompre. Je veux répondre aux besoins de mes électeurs, tenir mes promesses… » 

Ce qui est sûr, c’est que lorsqu’il tance les sociétés minières qui ne respectent pas les accords conclus, bloque les camions dont les conducteurs trichent sur les déclarations en douane, fait fermer les usines de transformation polluantes, le gouverneur sait se faire respecter. Non seulement parce qu’il représente l’autorité de l’Etat, mais surtout parce que l’ancien contrebandier a su se transformer en gendarme et c’est en connaissance de cause qu’il débusque toutes les fraudes possibles… 

Dans ce Katanga en pleine révolution industrielle, le gouverneur qui veut être aimé de tous essaie de concilier les intérêts des uns et des autres : rassurer les investisseurs potentiels en garantissant la stabilité, veiller à ce que les creuseurs artisanaux, sous pression des multinationales, ne soient pas les grands perdants du boom économique. Katumbi tempête : « Le code minier prévoyait de réserver six concessions aux artisans creuseurs afin qu’ils gardent leur travail. Mais à Kinshasa, la corruption a joué et même ces concessions-là ont été cédées à des sociétés. » 

Comme le maire de Lubumbashi, le gouverneur s’inquiète des risques de violence : « Parmi les 100.000 creuseurs artisanaux se retrouvent des intellectuels au chômage, des enfants en mal d’école, mais aussi de nombreux militaires démobilisés. Ces derniers, s’ils étaient privés de leur gagne-pain, pourraient être tentés par l’aventurisme ou par le banditisme pur et simple. » 

S’il accueille favorablement les investisseurs chinois qui promettent de construire des routes, des écoles, des centres de santé, le gouverneur ne craint pas de sévir contre les aventuriers. Il dénonce et sanctionne les Chinois qui sont arrivés avec un visa de trois mois et sont restés cinq ans, s’attaque aux Indiens qui installent des fours artisanaux en pleine ville, polluant les nappes phréatiques, interdit l’exportation de minerais bruts et exige qu’une partie du retraitement se fasse au Katanga et non dans les usines zambiennes installées de l’autre côté de la frontière. 

Aujourd’hui, le gouverneur a mis une sourdine à ses ambitions car la crise a durement frappé le Katanga, certaines sociétés ont fermé ou suspendu leurs investissements, des Chinois sont repartis (sans payer des salaires) et des inondations ont dévasté la province. Sur le plan politique, Katumbi se montre plus loyal que jamais à l’égard du chef de l’Etat, la démission forcée de Vital Kamerhe qui présidait l’Assemblée lui ayant peut-être rappelé que dans le Congo d’aujourd’hui, comme dans le Zaïre d’hier, il n’y a place que pour un seul chef…

Le Soir - 28 mars 2009

 

retour